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Dans les plaines rouges de l’Adamaoua, quelque part entre deux collines battues par le vent, vit Chantal, une jeune mère de trois enfants. Pour elle, comme pour des millions d’autres en Afrique centrale, les chèvres ne sont pas seulement des animaux : ce sont les repas du soir, les frais de scolarité, les sourires, les frais d’hôpitaux, en bref : l’espoir d’une vie meilleure. « Quand une chèvre tombe malade, c’est comme si une partie de ma maison s’effondrait », murmure-t-elle.

Un matin de saison sèche, Chantal  voit ses animaux souffrir. Fièvre, toux, écoulement nasal. Elle n’avait jamais entendu le mot Peste des Petits Ruminants PPR, mais elle en reconnaissait les signes cliniques. En l’espace d’une semaine, six de ses bêtes se fatiguent, se couchent et n’arrivent plus à se remettre debout. Sur la terrasse, la petite Noella lui demande : « Maman, pourquoi nos chèvres ne se relèvent plus ? »Chantal n’avait pas de réponse. Elle avait seulement peur.

Comme elle, plusieurs millions de familles rurales dépendent des petits ruminants pour survivre. Et comme elle, ces familles voient chaque année, des signes similaires s’abattre sur leurs troupeaux et quelques fois avec une mortalité dépassant les 98 %, laissant derrière elle un silence que même les oiseaux ne comblent plus. Dans certaines zones, des villages entiers se souviennent encore des journées où la maladie a emporté plus de bêtes qu’ils ne pouvaient les compter comme ces 75 000 chèvres perdues en RDC en 2012, ou les familles du Congo qui ont vu 399 animaux périr en une seule flambée.

Pourtant, ce qui détruit autant que la maladie, c’est la solitude. Lorsqu’on a demandé aux éleveurs comment ils réagissaient face à la PPR, beaucoup ont répondu : « On fait ce qu’on peut. On isole un peu les animaux malades. On donne des plantes. On attend… ». Car seuls 46 % sont réellement en contact avec un vétérinaire, et souvent de façon très ponctuelle. Certains disent ne pas savoir vers qui se tourner. D’autres avouent avoir perdu confiance, faute de suivi, faute de présence continue des techniciens à leur côté. Et pourtant, 95 % croient profondément en la vaccination lorsqu’elle est bien expliquée, bien conduite, bien accompagnée.

Un jour, une équipe de vétérinaires est enfin arrivée dans le village de Chantal . À leurs côtés, une jeune femme, stagiaire vétérinaire, a pris la parole dans la langue locale. Elle a expliqué ce qu’était la PPR, comment elle se propage, pourquoi la vaccination est une protection. Chantal raconte :

« C’était la première fois qu’on nous parlait comme à des partenaires. Pas comme à des moins que rien. Ce jour-là, j’ai compris que nous avions un rôle. »

Ce moment a tout changé. Parce que la lutte contre la PPR ne se gagne pas dans les bureaux, mais dans les villages, sous les manguiers, autour des enclos, là où les éleveurs deviennent les premiers acteurs de santé animale. Oui je suis désormais convaincue que la lutte contre la PPR se gagne avec les éleveurs au centre de toutes nos interventions

Cependant, ils demandent eux-mêmes : Plus de proximité, plus d’écoute, plus de campagnes annoncées à temps, plus de relais communautaires, notamment femmes et jeunes, plus de prise en compte avec les moments favorable pour la mise en œuvre et les réalités socio-anthropologiques.

Lorsqu’on a demandé à ces éleveurs  s’ils veulent continuer à participer, 97 % ont répondu oui. Pas par obligation, mais par espoir et surtout avec conviction. Parce qu’ils ont déjà tant perdu. Parce qu’ils savent ce que coûte l’attente. Parce qu’ils croient encore que leurs enfants méritent de se coucher le ventre plein.

Chantal sourit aujourd’hui lorsqu’elle voit ses nouvelles chevrettes gambader. Elle n’a pas oublié ses pertes, mais elle a retrouvé une chose essentielle :'' la confiance''.

« La PPR nous a pris beaucoup. Mais elle nous a aussi appris que nous devons être ensemble : vétérinaires, éleveurs, chefs traditionnels, jeunes, femmes etc. Personne ne peut gagner cette lutte seul. »

Dans la lumière du soir, Chantal regarde l’équipe de vaccination quitter le village. Et elle conclut, d’une voix douce, mais ferme :

« J’espère que vous reviendriez, encore et plus souvent. Et si vous reveniez, nous serons là. Nous voulons protéger ce qui nous nourrit. Nous voulons un avenir sans PPR. »